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Entre théories et pratique, quelles solutions durables contre la pratique de l’excision traditionnelle

Synthèse et notes de lecture de mes recherches sur la pratique de l'excision - Le statut de réfugiés a été accordé en décembre 2001 à un couple de Maliens et à une Somalienne qui refusaient de soumettre leur fille à l’excision. (EQUILIBRES

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Introduction

La circoncision est une pratique qui a évolué dans le temps et dans l’espace. Entre l’Egypte pharaonique et les temps modernes, la circoncision féminine, l’excision, est passée du statut d’un simple rite à celui d’infraction. Les administrateurs coloniaux tel le romancier Robert Randau évoquent avec indifférence l’excision, tout comme Jean Rouch1. Mais très tôt en 1931 lors d’un symposium tenu à Genève sur la sauvegarde de l’enfance, le législateur international a commencé à s’intéresser à la circoncision féminine. Il fut alors demandé aux pays coloniaux de lutter contre cette pratique. Quelques années plus tard en 1952, la Sous-commission des Droits de l’Homme soulève le problème des « blessures génitales féminines » à l’ONU. Cette alerte allait entraîner l’adoption de la résolution 680 BII du 10 juillet 1958 par laquelle le conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies invite l’OMS à entreprendre une étude « sur la persistance des coutumes qui consistent à soumettre les filles à des opérations rituelles » et sur les mesures adoptées ou prévues pour mettre fin à ces pratiques. Dans sa réponse, l’OMS estima que les opérations rituelles résultaient de conceptions sociales et culturelles dont l’étude n’est pas de sa compétence2. La question est à nouveau abordée d’abord en 1960 à Addis-Abeba lors la conférence de l’ONU sur la participation des femmes à la vie publique, puis en 1961 où l’ECOSOC revient à la charge pour demander à l'OMS d’examiner les aspects médicaux des MGF.
Cette sollicitation fait alors sortir l'OMS de sa réserve, qui soutiendra en 1977 la création du premier groupe de travail sur l’excision. Cette initiative sera suivie par l’organisation à Khartoum du 10 au 15 février 1979 du premier séminaire international sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants. Ce séminaire organisé par le bureau régional de la Méditerranée, recommanda l’adoption de politiques nationales précises en vue de l’abolition de la « circoncision féminine ». Débute dès lors une compagne internationale de lutte contre les MGF.

I Les campagnes internationales

La conférence mondiale de la décennie pour la femme tenue à Copenhague en 1980 se faisant l’écho, du mot d’ordre du séminaire de Khartoum, appela les gouvernants à chercher des solutions aux MGF. Mais un incident majeur marque les Africaines présentes à cette rencontre internationale : en effet, pour attirer l’attention des participants sur les ravages physiques de l’excision, un groupe d’activiste a pris l'initiative de publier à la une, des photos représentant l'intimité de certaines Africaines excisées sans consulter les femmes concernées. Frustrées et se sentant maladroitement pris en charge au mépris de leur dignité, elles formèrent un front uni pour manifester leur mécontentement à l’égard des Européennes et des Nord-Américaines. Même des auteurs comme Nawal El Saadawi dont les romans (Cf. God Dies by the Nile ou Women at Point Zero) s'insurgent violemment contre les mutilations sexuelles, firent front pour attaquer un féminisme conquérant et inadapté aux aspirations des femmes du Sud. Le problème ayant été mal posé, toute Africaine ne voulant pas être accusée de mimétisme occidental ou d'être à la remorque des mouvements féministes a été conduite à prendre ses distances. Aussi important qu'il ait été, le sujet est redevenu tabou à peine sorti de l'ombre. Depuis, il n'y a eu que très peu de franches discussions sur le sujet entre les mouvements féminins Africains et Européens, les principales intéressées se sentant la plupart du temps reléguées au rang de simple curiosité ou rabaissées au niveau d'objets scientifiques3.
Une nouvelle dynamique allait s’engager à nouveau en 1982, lorsque l'OMS, dans un rapport intitulé « Position de l'OMS relative à la circoncision féminine » exprime de manière formelle son opposition aux MGF à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, précisant que

« La circoncision féminine ne devrait jamais être pratiquée par des professionnels de la santé dans quelque contexte que ce soit, y compris dans les hôpitaux et autres établissements spécialisés4. »

Afin de montrer l’implication des africains eux-mêmes dans la lutte contre les MGF et éviter que les réactions ne soient pas uniquement signées que par des « Blancs », il fut créé en 1984 le Comité Interafricain regroupant 23 comités nationaux africains. Un premier avis, certainement marqué par l’esclandre survenu lors de la conférence de Copenhague, préconisa que « Pour des raisons psychologiques compréhensibles, la parole dans ce domaine devrait être laissée aux négresses », et qu’il fallait freiner la fougue de « Cette vague de réactions violentes et incontrôlables partie des pays occidentaux pour dénoncer ces mutilations »5. Le même rapport condamna tout comme l'OMS, « La médicalisation et la modernisation de la pratique de l’excision, celle-ci étant non conforme à l’éthique médicale.» Trois ans plus tard à Addis-Abeba, le Comité Interafricain allait émettre un avis contradictoire par la voix de sa vice-Présidente qui demande des « tactiques plus agressives pour stopper l’infibulation » car « Ni les efforts, ni les recherches ; ni les campagnes n’ont eu un vrai impact ». Plus incisif qu’en 1984, le Comité Interafricain préconisa l’adoption de lois spécifiques « interdisant la pratique des MGF et des abus sexuels et prévoyant des peines pour toute personne coupable de telles pratiques », assorti de « peine particulièrement sévère pour les professionnels de santé ». Cet avis du Comité Interafricain appelait donc l’Afrique à se joindre, à s’investir pleinement dans la campagne Internationale de répression des MGF.

II Les mesures de répressions internationales

L’Europe, et particulièrement la France, n’ont pas attendu l’appel du Comité Interafricains pour punir les auteurs de MGF sur leur territoire. En effet, l’arrivée massive en France des familles africaines dans les années 70 à la faveur du regroupement familial, coïncidera avec le premier cas de citation pour excision en 1978. Il ressort des faits que la petite Doua alors âgée de trois mois et demi, est décédée suite à une opération d’excision. Le procès qui s’ouvre en décembre 1979 est connu de la XVIème chambre correctionnelle du TGI de Paris. L’exciseuse qui comparaissait pour homicide involontaire, écopera d’un an de prison avec sursis. Les mouvements associatifs, qui se portèrent partie-civile en vertu de l’article 2.3 du Code de Procédure Pénale, créé par la loi " Sécurité et Liberté " du 2 février 1981, ont soulevé le caractère criminel de l’excision et l’incompétence du Tribunal Correctionnel au profit de la Cour d’Assises.
Le décès de Bobo, un bébé Malien de trois mois alerta à nouveau l’opinion publique en 1983 (cité dans le Monde diplomatique d’octobre 1998). L’action des associations de partie civile poussée à la roue par Me Linda Weil-Curiel permet la condamnation des parents pour homicide involontaire. La cour de cassation dans un arrêt du 20 août 1983 avait estimé que " Le clitoris et les lèvres de la vulve sont des organes érectiles féminins, que leur absence à la suite de violence constitue une mutilation au sens de l’article 312-3° du Code Pénal"6

Mais d’après Dominique Vernier, la justice française est dans l’embarras, et ne cesse de l’être jusqu’à ce jour. En effet on ne peut démontrer que les parents des victimes de l’excision aient agit avec l’intention de porter des coups et blessures à leur enfants7. Ce qui explique peut-être l’hésitation qu’éprouvent certains magistrats lors des procès sur l’excision. Ce que dénonce la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 1er juillet 1988 : « On observe cependant quelques hésitations et scrupules à interdire effectivement et à réprimer de pareils faits, que d’aucuns sont tentés d’excuser au nom du droit à la différence et de l’identité culturelle. De telles considérations ne sauraient être retenues ».

Mais condamner l’excision au mépris de son fondement culturel ressemble à de l’abus, voire à une sorte de discrimination à l’égard des communautés concernées, dans la mesure où tout procès contre l’excision oppose une norme pénale à une norme culturelle. Lors de son audition par la CNCDH, Alain Vogelweith, juge des enfants, a estimé que « Traiter l’excision en correctionnelle permet d’éviter de pointer une communauté dans son ensemble ».

III La résistance des populations aux mesures répressives

L’interdit créant le trafic, les populations qui ont toujours pensé qu’elles étaient jugées à tort pour des « crimes » qu’elles n’ont pas commis, adoptent de nouveaux comportements. Comment interpréter un tel malentendu ? Notre approche s’intéressera d’abord aux causes qui ont pu conduire à un tel virage.

A/ Les causes

1- l’inadéquation des stratégies occidentales

Dès les premières heures, les stratégies de lutte contre l’excision en Afrique semblent avoir été trop pensées à l’occidentale. Pour maintenir les populations concernées dans une certaine résignation ou indifférence, l'OMS allait prendre trois mesures fondamentales :
- interdiction aux agents de santé de pratiquer l’excision,
- multiplication des campagnes dissuasives à travers la sensibilisation des populations sur les dangers médicaux de la circoncision (masculine et féminine)* traditionnelle,
- incitation des gouvernements des pays concernés à criminaliser l’excision.

Il apparaît clairement que les mesures d’éradication envisagées au plan international occultent habilement, mais volontairement l’aspect des croyances liées à la pratique, mais qui pourtant sont fondamentalement la cause du maintien de la circoncision ou de l’excision. Une démarche qui obéit à la stratégie de l'OMS qui s’était estimée incompétente à se prononcer sur les aspects rituels résultant des conceptions sociales et culturelles. Les ONG africaines grassement soutenues et presqu’entièrement pris en charge par des bailleurs occidentaux, jouent le jeu, et mettent uniquement en avant les conséquences cliniques ou sanitaires auxquelles s’exposent les personnes pour préconiser sans contre-partie l’arrêt de l’excision. De même, l’implication des bailleurs de fonds internationaux pousse les gouvernements africains à faire des concessions qui, souvent, demeurent théoriques : signature de conventions internationales, criminalisation au niveau national de l’excision. Quinze pays africains ont interdit officiellement l’excision jusqu’en avril 20048. Cette attitude des institutions et du législateur international engendre dès lors des résultats presque contraires à ceux escomptés, au regard des conséquences relayées parfois par les médias.

2- Le manque de réalisme des acteurs en lutte contre la pratique

La plupart des grands sommets internationaux contre l’excision se sont le plus souvent contentés de déclarations pompeuses de politiques, d’universitaires, de responsables d’organisations internationales. C’est ainsi que début Février 2003, lors de la conférence internationale de lutte contre l’excision, la Première Dame Nigérianne Mme Stella OBASANJO affirmait « Je souhaite déclarer le 06 Février comme journée mondiale de tolérance zéro des MGF »9. Des déclarations sanctionnées par des appels presque injonctifs à l’endroit des gouvernements concernés pour l’adoption de lois nationales contre la pratique de l’excision. Cette démarche qui marginalise et qui frustre parfois les responsables traditionnels peut pousser ces derniers à durcir leur position, et mettre un frein à tout dialogue. C’est ainsi que suite à des consignes données par des chefs religieux, certains députés socialistes du Sénégal se sont interdit à participer au vote de la loi contre l’excision déposé en 1998 par le gouvernement, l’un d’eux affirmant :

« Ma religion m'interdit de voter cette loi. L'excision est un problème religieux… »10
. Pour prouver l’inadéquation de cette loi avec la mentalité locale, 120 fillettes âgées de 8 mois à 10 ans seront excisées manu militari au lendemain de la décision du conseil des ministres en décembre 1998, dans la région de Kédougou (Sénégal oriental) et, cette fois-ci par un homme, nonobstant la rigueur de la loi11.

Cet exemple prouve que l’excision constitue une sorte d’« offre » dans les milieux où elle est pratiquée, et destinée à répondre à une certaine « demande » fondée sur des « valeurs » culturelles reconnues par les populations concernées. Il est permit de se demander à quel succès comptent bien parvenir les politiques, les ONG et les organisations internationales qui rechignent à impliquer davantage les chefs religieux dans leur lutte contre l’excision.

B/ Conséquence de la mauvaise appréhension des fondements culturels de la pratique :

1- Des solutions inadaptées

La perception assez maladroite du problème serait alors à l’origine des palliatifs sordides suggérés parfois par les acteurs en lutte contre la pratique de l’excision. Quel est alors le sens de la sanction appliquée à des exciseuses analphabètes qui ne font que perpétuer une tradition immémoriale défendue en toute quiétude et autorité par des chefs religieux ?

Il est clair que l’excision constitue une sorte de « réponse » à une certaine croyance, qui influe sur le statut social et le comportement de l’individu, et dont l’origine remonte à la genèse même de sa société. Il paraît alors absurde que des ONG et mouvements associatifs s’emparent de solutions grotesques comme celles visant l’octroi de budget ou de capital à des classes d’exciseuses en vue de leur faire changer d’activité « commerciale », feignant d’ignorer que le retrait de « l’offre » peut pousser la demande à se satisfaire dans la clandestinité, parfois nuitamment dans les hôpitaux, voire dans des cases d’exciseuses « repenties ». L’audition de Christine BELLAS CABANE le 19 septembre 2003 devant la CNCDH révèle qu’

« Officiellement au Mali, 40 forgeronnes ont "déposé les couteaux". En fait leur "recyclage" est difficile car il ne s’agit pas simplement d’un commerce ou d’argent mais d’un statut social. Elles appartiennent à une caste réputée, comme celle des griots, et au-delà du problème financier, laisser son couteau, c’est abandonner ce statut qui à la suite d’un lent apprentissage leur a conféré un certain pouvoir. Les petits travaux qui leur sont proposés pour compenser les pertes financières ne peuvent les satisfaire. Certaines continuent malgré tout à pratiquer des excisions en cachette… »
Cette solution qui veut acheter des consciences au lieu de conscientiser a l’horreur de faire croire au monde entier que les populations n’ont institué la pratique que dans le but de faire de l’aumône aux exciseuses, et pourtant, la pratique existait bien avant l’introduction de la monnaie en Afrique.

Nous comprenons bien que de telles solutions ont plus le mérite de participer à la réduction de la pauvreté qu’à influer directement sur la psychologie des populations dans le sens de l’abandon de la pratique. Autre cousin germain, consiste en l’accord d’asile politique aux personnes susceptibles d’être victimes de l’excision dans leur pays d’origine12 , mais attention ! Asile politique n’est pas synonyme d’asile culturel ! Christine BELLE CABANE, pédiatre et anthropologue relève bien qu’il s’agit pour ces pays d’accueil, de « protéger des êtres dans leur complexité, et pas seulement des organes génitaux ». Si des communautés cotisent pour faire voyager des exciseuses en Europe en vue de pérenniser leur tradition, c’est que l’espace occidental ne constitue pas en soi, une solution. S’il fallait des arguments solides à des candidats à l’immigration, il faut avouer que celui de la menace d’une imminente excision ne pouvait pas mieux tomber.

2- La mauvaise réputation et image des acteurs en lutte contre l’excision.

L’action non intégrée des ONG africaines qui luttent contre l’excision décrédibilise leur image morale auprès des populations. Ainsi elles sont considérées comme des associations qui ont fait de cette lutte leur fond de commerce car elles sont financées par des bailleurs occidentaux. Elles ne sont plus vues comme défendant des intérêts africains, mais " à la solde des Blancs ".

a- L’excision clandestine

A ce jour, les cas les plus récents d’infraction liée à l’excision ne sont rapportés au grand jour et repris par les médias que lorsque les opérations ont tourné au drame. Dans son article publié au Monde Diplomatique 120 millions de femmes mutilées le Burkina Faso fait reculer l’excision, Joël STOLZ affirme qu’au Burkina,
« quand les familles font encore opérer leur filles, elles le font clandestinement et sur des enfants de plus en plus jeunes… »
En septembre 2007, un cas d’excision collective de 20 filles aboutit au décès d’une d’entre elles dans le département de Pabré au Burkina Faso. Un cas qui doit interpeller sur l’efficacité du contenu des messages de sensibilisation sur la psychologie des populations.

b- La duplicité des intellectuels

Une jeune Malienne de 18 ans vivant à Lille depuis quelques mois pour ses études en lettres, découvre lors d’une consultation de routine qu’elle avait été excisée depuis l’enfance, au même titre que ses six autres soeurs. Son père diplomate à l’ambassade du Mali au Ghana, voyage beaucoup. Sa mère, une sage-femme, est présidente de l’ONG SIDALERT, qui lutte aussi contre l’excision.13 Toujours dans l’article précité du Monde Diplomatique, l’auteur rapporte le cas d’une infirmière de Ouagadougou, qui, n’arrivant pas à concevoir malgré un traitement moderne contre la stérilité, se fait exciser en dernier recours, à trente ans passés…et tombe enceinte…. « Il sera difficile de la convaincre, soupir le docteur Akotionga, que c’est une simple coïncidence. »

Voilà ce qu’on peut lire dans Jeune Afrique de Mai 1999

« Nombre de petites filles africaines qui vivent en France et ne sont pas excisées présentent de graves troubles. Or, seul le rituel de l’excision permet de les soigner, de les reconstruire. (…) l’excision, au même titre que la circoncision pour les hommes, est l’un des rites majeurs. Sans ce rituel, une femme est incomplète, elle est une ‘Bikoro‘, un être à la sexualité immaîtrisable, toujours en errance. (…) L’excision est, en quelques sorte, un mécanisme de prévention mentale, un bénéfice social extraordinaire ».

Selon la CNCDH,

« Les juristes maliens sont confrontés au droit positif occidental lié à leur profession et aux règles coutumières qui ont nourri leur éducation. Même ceux qui sont opposés à l’excision ne sont pas prêts à dénoncer des membres de leur famille s’ils étaient témoins d’une excision ou de ses suites néfastes. Seule une juriste issue d’une ethnie où on ne pratique pas l’excision y était prête »14
. Ainsi, l’Afrique est sensibilisée sur les dangers liés à la pratique des MSF. Reste à ce qu’elle s’approprie de telles informations et agir en conséquence.

C / Des solutions qui marchent

1- L’instruction, facteur objectif

Les lacunes évoquées ne devraient cependant pas occulter les avancées significatives obtenues par les ONG et autres mouvements associatifs en lutte contre l’excision à travers le monde. Théoriquement, ils peuvent se targuer à ce jour d’avoir réussi sur le plan politique et particulièrement sur le plan législatif à faire adopter des lois contre l’excision et ses complices. Mais le passage de la théorie à la pratique ne fait pas encore l’unanimité sur le terrain. Comment venir à bout de l’excision clandestine qui est devenue le refuge des populations averties face à l’arsenal juridique et répressif adopté çà et là contre sa pratique ?

De l’avis de la CNCDH

« La prévention contre les MSF doit être incluse dans un programme plus large d’instruction générale, d’éducation à la santé, à l’hygiène et au droit des femmes. En France, elle doit être incluse également dans le contrat d’accueil et d’intégration. »
Cette conclusion a été tirée de la simple remarque qu’il existe une « corrélation inverse entre le niveau d’instruction générale et l’excision. Plus les populations sont instruites et moins elles excisent. Dans la région de Kayes, une des plus pauvres du Mali dont sont originaires beaucoup de migrants en France, le taux d’alphabétisation est inférieur à 17% et les MSF sont courantes ».

L’instruction serait donc un facteur objectif à privilégier ; même solution au Kenya où le gouvernement a lancé un plan d'action national pour l'éradication de l'excision qui est fondé essentiellement sur l'éducation civique. Mais il n'entend pas poursuivre les personnes qui soumettent leurs filles à une telle pratique afin d'éviter que l'excision soit pratiquée dans la clandestinité.

Autre solution prometteuse, l’avis des leaders religieux capables d’apporter des démentis crédibles à des pratiques traditionnelles en proie à l’obscurantisme.

A Djibouti, le discours des jeunes leaders, opposés aux MGF fait reculer les frontières des positions classiques tenues par les vieux dignitaires musulmans qui veulent maintenir l’excision au nom de l’Islam, ce que dément courageusement la relève.

Les avis de grands Imam tel Cheikh Tantawi d’Al-Azhar d’Egypte affirmant publiquement que sa fille n’a pas subit d’excision aurait plus d’effet sur la psychologie des adeptes musulmans.

2- Les rites de substitution.

Les rites de substitution sont légion en Afrique. Du point de vue culturel, ils permettent d’« atténuer » ou d’arrêter une pratique traditionnelle à travers un geste nouveau, le plus souvent en accord avec l’évolution des mœurs, tout en conservant sa valeur originelle au sein de sa société. Au Togo, on a pu observer des rites de substitution définitifs et/ou circonstanciels.

Suite à la conversion de la population d’Agou, village situé dans la région des plateaux au Togo, un habitant (un ancien catéchiste) a rendu le témoignage suivant :

« Chez nous ici, à Agou, chaque fois qu’il y a eu atteinte à la vie humaine : accident de circulation, noyade, etc, il a fallu des cérémonies de propitiation et d’apaisement des mauvais esprits, des divinités ou des mauvais ancêtres. Nous avons trouvé que ces cérémonies étaient devenues caduques à cause de la civilisation, et surtout qu’elles étaient contraires à certaines exigences de la foi chrétienne au fur et à mesure que les membres de la famille se convertissaient. Il y eut une année où les anciens d’Agou, une fois convertis, décidèrent d’organiser une fois pour toutes de grandes cérémonies, et sacrifier une dernière fois des animaux pour l’apaisement définitif de ces idoles, de ces divinités et de ces ancêtres… »15.

Dans le cadre des rites circonstanciels, on peut citer l’exemple du rite funéraire. ce rite constitue le plus souvent dans sa forme originelle en un sacrifice « personnel » rendu en échange d’une bénédiction, ou en hommage à un défunt. Ce dernier cas peut être le plus populaire. En effet autrefois, il fallait se raser entièrement la tête en hommage au membre de la famille décédé. Ce rite de plus en plus contesté dans certaines localités en raison de la survenue de la coiffure artificielle tant adoptée par les femmes, a été atténué, et ce avec l’implication des chefs traditionnels religieux et des patriarches. Ainsi désormais, il suffit à la personne éplorée de se faire couper quelques mèches de cheveux pour exécuter son rite funéraire16.

Historiquement, on sait que des femmes XWEDA ont été réfractaire à une proposition de rite de substitution du roi du groupe ethnique XWEDA du Sud-Benin du nom de SEDOZAN (les recherches sont muettes sur les dates de son règne). En effet, après son accession au trône, le roi ZOUNON SEDOZAN qui est d’origine GEN(Mina), a voulu faciliter la condition de la veuve en réduisant toute la durée du veuvage à six mois au lieu de douze, mais sa proposition a été rejetée par les femmes elles-mêmes. 17

Le rite « AKPÉMA » exécuté en pays Kabyè (Togo) en passage à une nouvelle classe sociale est de nos jours pratiqué de manière plus « pudique » au sein même de l’église Catholique, et accepté par la population qui est libre cependant d’opter pour la méthode traditionnelle.

En matière d’excision, la Guinée nous donne un exemple de rite de substitution. En effet, là-bas, la jeune fille est excisée après un grattage symbolique des parties génitales qu’effectue la forgeronne. Enfin, loin du folklore et de l’agitation des ONG, certaines familles du Burkina Faso de la région(Sud) frontalière avec le Nord-Togo, recourent depuis quelques temps déjà à un rite de substitution assez original. Désormais, les parents de la jeune fille qui a atteint l’âge d’être excisée, s’adressent au patriarche ou au plus âgé de la grande famille. Là ils expriment au patriarche ou au plus vieux, leur intention de ne pas exciser leur fille en chair, mais par un rituel symbolique par lequel ils présentent leurs excuses en prenant le patriarche ou le vieux à témoin. On estime que la personne la plus âgée plus proche de la mort, ira transmettre les excuses aux ancêtres au jour de son rappel à Dieu. (Karime K. mai 2006).

Conclusion

Le recours à un rite de substitution est une garantie d’un non-retour à la pratique originelle par la population. On se rappel qu’en Février 2005 lors de la reprise d’activité du volcan MERAPI en Indonésie, les populations autochtones de Java avaient repris les sacrifices rituels qu’elles avaient abandonnées depuis des siècles, estimant que c’est l’abandon de ces rituels qui avait provoqué la colère de la nature. En effet, les populations confrontées à de grandes catastrophes naturelles, cherchent désespérément des solutions à travers les pratiques religieuses abandonnées. En Août 2008, suite aux inondations survenue au Togo, les chefs traditionnelles des localités les plus touchées, ont décidé de reprendre les sacrifices rituels abandonnés, afin d’apaiser la colère des ancêtres et de la nature18. Des faits qui prouvent l’intérêt des rites de substitution.

Dissirama BOUTORA TAKPA




1 L’Afrique Noire Pge 69 (L’AME NOIRE), Editions Odé 1952

2 OMS, 12ème assemblée mondiale de la santé, 11ème séance plénière du 28 mai 1959

3 Pierrette Herzberger-Fofana, MGF

4 remise en juin 1982 à la sous-commission des NU pour la prévention des discriminations et la protection des minorités, groupe de travail sur l’esclavage)

5 Rapport sur les pratiques traditionnelles, Dakar 1984.

6 Ancien code pénal en vigueur jusqu’au 1er février 1994

7 Le traitement pénal de l’excision en France, in Droit et culture, vol. 20, 1990 p 193

8 Soudan 1946 (interdiction de l’infibulation) ; Sierra Leone -En 1953, plusieurs femmes de la société secrète bundu furent condamnées à des peines de prison pour avoir pratiqué une initiation -excision- forcé ; Centrafrique 1966 ; Somalie 1978 ; Kenya 1982 ; Liberia -En 1994, lors d’un procès une exciseuse et des membres de la société secrète Vai Sande ont été condamnés à verser 500 $ à la famille d’une jeune fille excisée, pour blessures infligées de force et contre sa volonté. Burkina Faso 1987 -Le 14 août 1995 à Ouagadougou, une exciseuse a été arrêtée et amenée à la maison d’arrêt, avec les parents de la fillette excisée, et tous ceux qui participaient à la cérémonie. Ghana 1994 -En mars 1995 l’exciseuse et les parents d’un bébé de huit jours ont été arrêtés et inculpés. La fillette, quant à elle, a été sauvée in extremis à l’hôpital, d’une hémorragie qui a suivi son excision. Djibouti 1995 (le code pénal dans son article 333, proscrit la pratique de l’excision) Egypte 1997 Côte d’Ivoire 1998 Sénégal 1998 Togo 1998 Tanzanie 1998 Guinée Conakry 2001.

9 Lors de la clôture de la conférence internationale de lutte contre l’excision, la Première Dame Nigérianne Mme Stella OBASANJO affirmait peu après 14h GMT dans un tonnerre d’applaudissements : « Notre rôle en tant qu’épouse de chefs d’Etats du continent sera d’accorder tout notre soutien et d’influencer nos maris, frères et autre alliés stratégiques pour adopter la tolérance zéro contre les MGF »

10 Amadou Sakho "Droits-SENEGAl: Il faut plus qu'une loi pour bannir les MGF". Femmes-afrique-info, 21 janvier 1999. Le Soleil, 15.1.99

11 Sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à l'intégrité de l'organe génital d'une personne de sexe féminin par ablation totale ou partielle d'un ou plusieurs de ses éléments, par infibulation, par insensibilisation ou tout autre moyen. La peine maximum sera appliquée lorsque ses mutilations sexuelles auront été réalisées ou favorisées par une personne du corps médical ou paramédical. Lorsqu'elles auront entraîné la mort, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée. Sera punie des mêmes peines toute personne qui aura, par des dons, promesses, influences, menaces, intimidations, abus d'autorité ou de pouvoir, provoqué ces mutilations sexuelles ou donné les instructions pour les commettre. ("Loi 299 bis sur les Mutilations Génitales Féminines")

12 - Le 13 juin 1996, le conseil des appels de l’immigration a ordonné que l’asile politique soit accordé à Fauzyia Kasinga, togolaise, du fait de la crainte d’excision. Elle était âgée de 17 ans lorsqu’elle a fui le Togo à la suite d’un mariage forcé avec un homme de 45 ans. Après la mort de son père qui s’opposait à l’excision, sa mère d’origine béninoise a été bannie de la tribu, les Tschamba-Kunsuntu, qui pratiquent l’excision. - Le statut de réfugiés a été accordé en décembre 2001 à un couple de Maliens et à une Somalienne qui refusaient de soumettre leur fille à l’excision. (EQUILIBRES)

13 Magazine ELLE, 5 septembre2005 pge 189.

14 Etude et propositions sur la pratique des mutilations sexuelles féminines en France adoptée par l’assemblée plénière du 30 avril 2004

15 FOI CHRETIENNE ET SOLIDARITE EWE : ASPECTS PASTORAUX DE L’INCULTURATION. EXPERIENCES VECUES DE LA SOLIDARITE ET DE LA MDIATION DES ANCETRES CHEZ LES EWE DU SUD-TOGO. De Grégoire Kodzo F. AZIAMBLE-AMUZUVI

16 Dans certaines localités claniques du Nord(Lamba, Kabye), voire du Sud-Togo où la tendance évolue vers l’abandon définitive

17 VOIX de st gall N°67 page 43.44ème année du 25 décembre 1994(Bulletin de recherche et d’information du Grand Séminaire de Ouidah) Le veuvage en milieu traditionnel…

18 www.radiolome.tg, Inondations au Togo

Source: Notes de lecture de Dissirama BOUTORA TAKPA

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