L’enfant
J’ai vu le jour un 16 novembre de l’année 1973 à Pagouda en même temps que mon frère jumeau. Selon les témoignages, nous nous ressemblions comme deux gouttes d’eau. Pour se faciliter la tâche, Maman avait accroché un petit lacet à ma cheville pour pouvoir nous distinguer ; cela lui évitait d’administrer deux fois le même médicament à l’un de nous par inadvertance…
Deux ans plus tard, nous sortions presqu’indemnes avec notre mère d’un grave accident survenu dans les monts Alédjo. Il semble, selon des témoignages, que nous avions quelques pouvoirs mystiques ; par exemple, nous avions refusé de voyager à bord du bus commercial en pleurant sans cesse et en refusant toute nourriture jusqu’au moment fatidique. L’accident avait causé plusieurs victimes dont un oncle maternel qui m’avait protégé en m’enlaçant lorsque nous fûmes projetés hors du véhicule contre un rocher à quelques mètres. Cet accident aurait pu être évité si quelqu’un avait deviné le sens de nos avertissements. C’est seulement après cet accident que nous avions accepté de manger. Bien avant, à notre naissance, certaines personnes qui nous faisaient pleurer par quelque provocation que ce soit, se faisaient piquer par un scorpion pendant la nuit (sans préavis)...
C’était à Pagouda, dans la BINAH. À l’époque, Papa avait été nommé Chef de la Circonscription de cette subdivision administrative du nord-est du Togo. Avant cette fonction, il avait longtemps travaillé comme instituteur dans plusieurs localités avant de devenir directeur d’école à Boufalé. En effet, sorti de l’Ecole Normale d’Atakpamé, il avait commencé sa carrière dans l’Akposso, à Patatoukou, où il a fait construire la première école primaire en 1951. Il se rendra en Europe, tout particulièrement en Allemagne, en Espagne puis en France entre 1957 et 1958 pour son stage documentaire.
En 1977 Papa est affecté au ministère de l’intérieur à Lomé. Il élit domicile près de l'actuelle Université de Lomé constituée de bidonvilles, à l'époque, dans sa partie sud. Et c’est là que moi aussi je vais commencer le cours primaire tout comme mon jumeau. Mais il a fallu du courage à la famille pour nous maintenir à l’école. Parce que nous la détestions. d’abord après de multiples tractations, nous avions exigé à aller au cours préparatoire en pantalon et non en culotte comme les autres écoliers du primaire. Papa dut aller demander que cela nous soit accordé. Ce qui fait que nous avions débuté habillés comme des collégiens à l’Ecole Primaire Publique Doumasséssé II , qui n’était qu’à une vingtaine de mètres de notre domicile. Mais nous ne supportions pas rester jusqu’à 11h30. Alors nous désertions dès la récréation. A un moment donné, la maîtresse dut user de son fouet pour nous ramener à l’ordre.
Pour la contourner, nous jouions aux faux-malades. Aujourd’hui c’est moi, demain, c’est au tour de mon jumeau de feindre un mal de tête ou de ventre. Alors on nous laissait rester à la maison. Un matin notre entente reçut un coup. Mon jumeau avait joué au faux-malade la veille, ce qui nous avait permis de passer la journée entière à la maison. Selon ce que nous avions convenu, je devais prendre la relève après lui, mais je refusai d’assumer parce que j’avais déjà assuré deux jours successifs, alors il devait faire de même. On se mit à se quereller sans faire attention à l’entourage qui nous écoutait. On se mit à faire le décompte des jours où chacun avait joué son rôle pour voir qui de nous avait triché. Alors que nous nous livrions encore à ce jeu, Maman alla nous signaler à notre maîtresse de classe. Cette dernière arriva avec deux des militaires qui construisaient les bâtiments des côtés Est et Sud. Ils nous transportèrent sur leurs épaules accompagnés par la maitresse et la maman qui les encourageaient... Ils nous déposèrent devant notre salle de classe pendant qu'on pleurait encore. Depuis, plus de jeu, plus de mensonge.
Ce fait montre que l'implication des personnes adultes surtout des parents, est parfois nécessaire pour "mettre l'enfant sur les rails" de la scolarisation...
Mais l’école buissonnière nous avait fait redoubler le CP1. A partir du CE1 nous avions d’autres passions. En effet les terrains non-bâtis du campus nous servaient d’aire de chasse. Il nous arrivait alors d’aller chasser les tourterelles les matins de bonne heure avant de nous rendre à l’école à 7h30. Nous attrapions les tourterelles à l’aide de pièges artisanaux. Un vendredi après-midi, nous fîmes une véritable moisson dans le champ d’un monsieur. Celui-ci venait de semer du maïs dès les premières pluies de la saison pluvieuse. Cet après-midi là, nous fîmes de nombreuses prises. Nous pûmes attraper jusqu’à plus d’une dizaine de tourterelles au lieu d’une ou de trois comme d’habitude. Nous nous préparâmes à y retourner très tôt le lendemain matin pour en attraper encore plus. Malheureusement, à notre arrivée, il y avait un autre concurrent, Isidore, sur les lieux. Il avait plus de pièges artisanaux que nous, et il en avait déjà attrapé à notre arrivée. Il refusa de nous céder le lieu parce que le champ n’appartenait à personne d’entre nous.
Furieux, nous nous rendîmes chez le propriétaire pour signaler que quelqu’un était en train d’attraper les tourterelles dans son champ, et qu’il était en train de détruire la nouvelle semence. Malheureusement, le propriétaire était absent, et nous nous sommes contentés d’en parler à sa femme. Nous retournâmes dans le champ et constatâmes à notre surprise que Isidore avait quitté les lieux. Sans réfléchir, nous posâmes nos pièges pour aller guider les tourterelles vers le champ. C’est de là que nous vîmes le propriétaire arriver. Au lieu de nous cacher, nous courûmes à son encontre ;
– c’est nous qui sommes allés avertir votre femme que quelqu'un avait tendu des pièges dans votre champ!
– Et vous, que faites-vous là ?
– …
Il déterra et confisqua tous nos pièges ; c’est ainsi que nous perdîmes ce que nous avions mis des mois à acheter grâce à nos petites économies.
Notre passion va changer de camp un an après : le football. Dès la sortie des classes, nous jouions jusqu’à la tombée de la nuit. Il arrivait que le terrain de l'école soit occupé par les plus âgés, alors, nous posions nos poteaux à la devanture de notre maison pour jouer en pleine rue. Cette passion, additionnée de l’absence répétée de notre maitresse de classe du CE2 , causa encore notre redoublement en fin d’année. Pour nous ramerner à l'assiduité et à la ponctualité à l'école, Papa alla nous inscrire plus loin, à Tokoin Adjallé, où un de ses promotionnaires de l’école normale était directeur. Son promotionnaire M. Agbodjan, avait ceci de particulier, qu’il s’habillait parfois en culotte et chemise kaki comme nous les élèves. Papa repartit à son service après nous y avoir inscrits. Son promotionnaire qui tenait les CM2, nous installa dans la classe de CE2 contiguë à la sienne. Mais ce jour-là, nous n’avions pas encore de maître ou de maîtresse de classe. Une occasion pour nous de prolonger nos vacances. Il arriva que le Directeur vienne plusieurs fois réclamer du silence. Mais à peine sortait-il de la classe que nous relancions le vacarme collectif. En fait, nous nous mettions sous les table-bancs, pour jouer au western : pan!, pan!, pan!…ratatata!!!!… À un moment donné, le plus géant et le plus âgé de la classe fit :
– Pan ! Ahoooo !
– Qu’y a-t-il ? S’étaient écriés plusieurs d’entre nous en chœur, comme si quelque chose d'assez grave venait de se produire. Profitant du lourd silence qui s’était subitement emparé des lieux, nous relevâmes nos têtes ; c'est alors que chacun de nous comprit :
– Votre camarade a tiré sur moi. Plaisanta le Directeur en personne qui tenait notre camarade par la ceinture. Il le coucha sur un banc et lui colla une dizaine de fessées.
Cet incident nous ramena définitivement à l’ordre. Vu le traitement infligé au plus âgé, on pouvait facilement imaginer notre sort si on devait encore se laisser prendre.
Notre maître de classe M. Touglo arriva au troisième jour après la rentrée officielle. En fait il y enseignait déjà, et était bien connu pour sa grande rigueur…
Nous nous demandions comment un monsieur aussi amusant pouvait être « méchant » comme disait les anciens de la classe. À peine arrivé, il nous faisait tellement rire, qu’on se croyait au théâtre. Puis après la première semaine, il affirma en souriant :
-- La semaine écoulée était juste une semaine de bienvenue ; maintenant les choses sérieuses vont devoir commencer.
Ce lundi-là, nous sembla un calvaire interminable. Il commença par les prérequis, faisant le tour d’horizon des matières. Chaque faute en grammaire et conjugaison donnait lieu à deux coups de fessées. Le lendemain, nous avions du mal à bien nous asseoir ; personne n’avait échappé au « plamateau », le bâton. Le mercredi, c’était en calcul mental et écrit ; là encore, même traitement qu’à la veille ; un véritable baptême du feu. Heureusement, Maître Touglo n’usa plus autant de son « plamateau » le reste de l’année. Ses premières séances nous avaient tellement fait mettre au travail, que pour éviter le plamateau, on faisait désormais tout nos devoirs avant d’arriver en classe. Petit à petit, on devint vraiment familiers et de très bons amis avec lui, à telle point qu’à certains moments il corrigeait sans user du bâton. Papa ne nous battait pas à la maison, mais l’école l’a fait à sa place, par devoir.
Maître Touglo retrouva notre promotion au CM2 où notre classe n’enregistra qu’un seul échec à l’examen du CEPD.
Le collégien
Dernier trimestre de l'année 1987. Notre rentrée en classe de sixième au Collège d’Enseignement Général Tokoin Nord. J’avais terminé mes vacances en attrapant un paludisme très violent. J’étais encore en convalescence quand nous débutâmes la rentrée. Notre professeur d’Algèbre, une femme, sillonnait les rangés avec un fouet en caoutchouc. Nous devrions prendre note pendant le cours et la laisser voir ce que nous notions. Ici, le fouet est utilisé pour un oui ou un non. Plusieurs fois, on pouvait se faire fouetter sans savoir pourquoi. Je pense qu’au lieu d’une passion, cette femme avait la haine d’enseigner. À cause d’elle j’ai détesté le cours d’algèbre en m’intéressant beaucoup plus aux autres matières. Je compris qu’un usage abusif du bâton peut impacter très négativement l’élève.
Malheureusement en fin d’année je me retrouvai avec une moyenne de 9,80/20 au lieu de 10/20 pour passer en classe supérieure, la cinquième. Mais sur mon bulletin de notes, il était marqué que j'avais 12 au lieu de 14/20 en Biologie. Je protestai en impliquant Papa qui s’était chargé d’aller réclamer avec mes copies en mains, mais malgré les preuves, le directeur refusa de faire suite à sa réclamation. J'ignore ce qui s'était passé entre lui et le directeur .. De retour il m'expliqua qu'il était allé pour réclamer un droit, et non une faveur ; il se contenta de me dire : «Va! et impose-toi par ton travail!»...
L’étudiant
Alors étudiant en droit, je prenais mes séances d’écriture comme un véritable passe-temps. À l’époque je n’avais pas encore de petite amie, mais l’écriture du Journal d’une bonne me passionnait au point d’étouffer, voire de combler ce besoin; disons que Paméla ne tenait pas compagnie qu’à Adjo seule… Lorsque je n’écrivais pas «directement» sur papier, j’organisais et préparais en continue l’aventure dans un coin de ma tête. Parfois je me réveillais de nuit pour écrire un bout de phrase dans un petit carnet que je gardais toujours au chevet.
Une des étapes qui me marqua fut l’instant où je m’étais rendu compte que j’allais perdre mon héroïne; c’était vers la fin de la troisième partie. Cet après-midi-là j’avais fondu en larmes dans l’amphi où je travaillais; il faut aussi dire que du point de vue des études, les nouvelles n’étaient pas bonnes non plus; les copies des partiels avaient été rendues et j’avais 7 en Droit civil et 9 en Droit public; rien que des «notes célibataires» comme ça se disait entre-nous étudiants ; et de là, réaliser que j’allais perdre Adjo, en rajoutait aux sentiments de déception et de confusion qui m’animaient cet après-midi de mai. Ce jour-là j’avais décidé de tout ranger pour mieux me consacrer à mes études. En fait c’était aussi pour penser à comment donner une issue plus heureuse à mon aventure.
L’année se termina très mal, car je devais reprendre ma première année de licence. Les premières semaines de la rentrée suivante furent très pénibles, car mon frère jumeau et d’autres camarades passaient en deuxième année, alors que je me retrouvais avec de nouvelles têtes en première. Quelques fois des éclats de rire de certains camarades cyniques marquaient mon passage. Mais je supportais pas mal cet échec; d’abord parce que j’en avais connu beaucoup sur mon parcours; par exemple, j’avais dû passer cinq fois l’examen du Brevet d’Études du Premier Cycle (BEPC) avant de l’obtenir, et Dieu seul sait pourquoi et comment.
Pour m’encourager, Papa avait plaidé et obtenu mon inscription en classe de seconde au lycée du Collège St Joseph après mon troisième échec; ainsi, je pourrais continuer «normalement» tout en préparant mon brevet. En fin d’année, je passais; et sur mon bulletin était marqué «passe en classe de 1ère si BEPC». Je devais y retourner pour une quatrième fois. Mais cette fois c’était le coup de grâce; pour quelques points, je quadruple alors que mes notes des matières facultatives sont absentes sur le relevé ; un échec de plus, puisque ma démarche en réclamation sera refusée ; nous sommes au mois de juillet 1995. Je cédai presqu’au découragement et voulais renoncer à poursuivre mes études: «Je suis prêt à t’offrir tout ce que tu me demanderas si tu acceptes de tenter une cinquième fois» avais dit Papa en apprenant la nouvelle; il mourra le mois suivant…
C’est donc pour lui que je décide de tenter une cinquième fois. Profitant du logement de fonction de mon frère feu Togaba alors infirmier d’État, je quittai Lomé pour Kpémé. Là je me fis inscrire dans un collège public d’un petit village. C’est ainsi que je quittais chaque matin la cité minière pour me rendre au Collège d’Enseignement Général dit de «l’union» où je repris entièrement ma classe de troisième. Sauf que cette fois le dernier des ignares allait décrocher son brevet. Cet après-midi-là, je n’avais pas crié «victoire» en lisant mon nom parmi les admis. j’avais juste soupiré pour exprimer ma joie d’avoir honoré le vœu de Papa. Je lui dédiai intérieurement cette réussite, convaincu qu’il aurait aimé partager cet instant avec moi.
Je suis sorti de cette épreuve avec une leçon dont je me sers encore comme un remède face à certaines situations; je veux parler de la patience. Car même avec un courage d’acier, il faut s’armer de patience pour vaincre parfois à la faveur du temps. Les sentiments de honte, d’humiliation, de défaite, cèderont lorsque la persévérance (dans l’action) finira par remporter la partie.
C’est vrai, je ne suis certainement pas un exemple de réussite: qui applaudirait un champion d’«échecs»!? Mais je me dis que mon expérience peut inspirer une lectrice, un lecteur ou un visiteur. Car il n’est pas facile de se relever d’une, ou de plusieurs défaites. C’est peut-être l’occasion pour moi de parler du pouvoir de correction, d’appréciation ou d’évaluation dont se servent encore certains enseignants intellectuellement malhonnêtes de nos écoles et universités pour harceler, bloquer, ou contraindre certains apprenants à s’affilier à des organisations plus ou moins secrètes ou occultes voire extrémistes à cause des notes ou des qualifications abusives attribuées parfois à tort et de manière injustifiée. C’est pourquoi je plaide pour que le processus d’évaluation de notre système éducatif soit informatisé, avec toutes les garanties de transparence à tous les niveaux pour les apprenants de demain. Car «l’humeur» d’un enseignant ne devrait point impacter l’effort ou le mérite d’un apprenant.
Alors mon échec en année de licence au campus de Lomé n’était qu’un échec de plus, un parmi tant d’autres; seulement cette fois je vivais une incroyable romance qui m’aidait à mieux le supporter…
Mais entretemps j’avais postulé pour le concours France-Togo; une deuxième fois, parce qu’à la première j’avais été trop vite en besogne en envoyant un contenu inachevé. Quelques semaines plus tard alors que j’étais revenu d’un TD tout fatigué et que je me reposais, mon frère aîné Koleka reçut un appel téléphonique de la France. Un de ses promotionnaires qui avait eu connaissance de la délibération du jury du Prix France-Togo le félicitait pour son travail. Étonné et surpris, il me réveilla en me demandant si quelqu’un parmi nous avait participé à un concours littéraire en France?
- Oui! c’est moi, c’est moi!
- Il paraît que tu as obtenu le Prix…
Toute la fatigue de la journée me quitta; je fis le tour de la cours en criant «OUÉ! OUÉ! OUÉ! J’ai réussi!»
Le lauréat
Le lendemain je retournai au cours comme si de rien n’était; je n’en parlai qu’aux camarades de la fac qui reprenaient l’année comme moi. Rappelons que notre statut d’ancien nous donnait droit au «parlement», sièges situés au fond de l’amphi. Je reçus une semaine après la lettre de la délibération du jury du Prix littéraire France-Togo. Puis quelques jours plus tard, Méliga ma sœur, m’informa que la primature avait appelé pendant que j’étais au cours, et que j’étais demandé auprès du chef de cabinet d’alors…
— Quoi? La Primature?
Je m’y présentai le surlendemain après avoir informé mes proches de la fac la veille. Je me retrouvai nez-à-nez avec l’équipe de sécurité et les membres du protocole de la Primature à l’ouverture de l’ascenseur. Je fus conduit auprès du chef de cabinet qui avait donné des consignes. Son Excellence monsieur Kodjo SAGBO était seul à mon arrivée, et j’avais bien remarqué l’exemplaire de mon manuscrit sur son bureau. Jusque-là je ne l’avais vu qu’à la télé…
— Les responsables de l’Association France-Togo manquent de parrain pour couvrir la cérémonie de remise de prix, alors j’ai demandé à lire votre manuscrit pour voir s’il y avait des passages politiquement compromettants, puisque plusieurs autres personnalités ont décliné les propositions du Président. Mais personnellement je n’ai rien vu de compromettant dans votre récit, alors, je suis partant pour parrainer la cérémonie de remise du Prix.
J’étais assez impressionné par son personnage serein et calme. Je me contentai de l’écouter sans laisser mon visage tarir de sourire. Il complimenta mon manuscrit en ajoutant que c’est d’ailleurs pour m’encourager qu’il s’était décidé à parrainer l’événement. Je le remerciai et exprimai combien ses propos m’allaient droit au cœur.
Puis les choses se succédèrent; il m’annonça qu’il m’a fait venir plus tôt pour que nous recevions ensemble le représentant du Président de l’Association France-Togo qui n’allait pas tarder à arriver. C’était un ex-colonel de l’armée française d’origine togolaise Candide GNASSOUNOU qui était très chaleureux dans les relations:
- «Aaah! Ça doit être notre lauréat; il est tout comme je l’imaginais.» s’était-il écrié. Vous avez une belle plume, et vu votre style vous ferez un très bon biographe!.
—…
L’ambiance fut assez conviviale par la suite, et on échangea autour des activités devant marquer le séjour du représentant du Président, M.Louis GIARD à qui je rend aussi hommage. Un membre du protocole vint échanger plus tard avec le chef de cabinet qui nous appris que nous allions être introduits auprès du Premier Ministre d’alors.
J’allais de surprise en surprises; je fus présenté au chef du gouvernement comme étant le lauréat du Prix France-Togo 2001; seulement ce qui était compromettant, c’est que j’étais étudiant, alors que nous étions à une époque où des grèves violentes et répétitives des mouvements estudiantins donnaient des insomnies au PM. Un membre du troupeau était donc là.
— Ah! Ces étudiants…
J’encaissai avec sourire les remarques du PM sur… sur nous. Puis le PM revint à de meilleurs sentiments en disant qu’en fait mon cas était à féliciter, et que le gouvernement allait également soutenir l’événement. Il ajouta que le Chef de l’Etat était à Pya, et que l’avion présidentiel pouvait nous y conduire si la délégation le désirait. Ce que les uns et les autres ont poliment décliné, y compris moi. J’avais argué que je ne m’attendais pas à cette proposition, et puisque nous étions juste venus pour les présentations j’allais saisir l’occasion la prochaine fois. Nous fîmes interrogés par la presse d’État au sortir de l’audience avant de regagner le bureau du chef de cabinet.
Je reçus le programme des activités qui allaient aboutir à la cérémonie de remise du Prix à la résidence de l’ambassadeur de France d’alors, monsieur Jean-François Philippe Valette. que j’avais rencontré grâce à une audacieuse manœuvre survenue au secrétariat du CCF d’alors, actuel Institut Français.
En effet pour la constitution du dossier du concours, j’avais presque tout dépensé, y compris l’aide universitaire de mon frère jumeau. À la poste, les frais d’envoi dépassaient de loin mes possibilités, alors que j’étais à une semaine et demie de la date de clôture. Je décidai d’aller solliciter les faveurs auprès du secrétariat du CCF d’alors, afin que l’institution fasse parvenir mon dossier de candidature. Seulement, le directeur d’alors monsieur Gaudeau, avait demandé à jeter un coup d’œil au contenu avant d’autoriser l’envoi sous-couvert du CCF.
À ma grande surprise, la secrétaire demanda à ce que je me présente à son bureau le lendemain dès que possible. Là je me posais des questions: qu’a-t-il bien pu se passer? Au pire des cas on me retournerait mon dossier après quelques reproches, me disais-je pour me rassurer.
— Le directeur voudrait que vous preniez rendez-vous avec lui. Avait dit la secrétaire juste après les salutations.
— Comment? Quand?
— Ça dépend de votre disponibilité…
C’était un vendredi; je pris alors rendez-vous pour l’après-midi du mardi de la semaine suivante.
Jusque-là je me posais tellement de questions. Mais je fus plutôt bien reçu. Il me rassura dans un premier temps en m’annonçant qu’il allait autoriser l’envoi de mon dossier par courrier recommandé. Puis il revint sur le manuscrit en me félicitant du travail accompli. Selon lui, il y avait beaucoup de chance que mon manuscrit rencontre un succès; il alla en détail en parlant de la manière dont j’avais bien travaillé les personnages du récit, et du style qu’il trouvait captivant. Il m’informa qu’il allait en garder copie, et en parler autour de lui, surtout à la bibliothécaire, en attendant l’issue du concours, et si d’aventure j’avais la chance d’être édité par une maison de la place.
L’écrivain
Quelques semaines environ après la délibération du jury, je reçus une invitation à prendre part à une soirée de réception qui devait avoir lieu à la résidence de monsieur l’Ambassadeur. Je me rendis seul à ce cocktail. Je m’empressai de me présenter au couple Marine et Philippe Valette. Lors des présentations, il profita pour me féliciter pour le Prix que j’avais remporté tout en exprimant le souhait d’obtenir une copie du manuscrit; ce que je fis deux jours plus tard. C’est à cette soirée que j’appris qu’il fut enseignant de français avant d’embrasser sa carrière diplomatique. Je fus présenté également à M. Brignot, le chef du Service de Coopération et d’Action Culturel de l’Ambassade, ainsi que bien d’autres personnalités de la communauté française à Lomé qui m’avaient vivement soutenu.
Il faut rappeler que suite à l’avis favorable et aux encouragements du directeur du CCF, j’avais entrepris des démarches auprès de quelques maisons d’éditions de la place. Malheureusement il n’en restait que quelques-unes. Les Nouvelles Éditions Africaines (NEA) était presqu’en liquidation; après plusieurs tours, je n’avais pas pu faire acte de candidature. Je fus dirigé vers AKPAGNON qui n’était pas intéressé par mon dossier; je rencontrais l’auteur Yves Emmanuel Dogbé pour la première et la dernière fois. Seule HAHO avait accepté le manuscrit contre une décharge et avait émis un avis quelques semaines après. En somme, le comité de lecture recommandait l’édition de l’œuvre, mais la maison disait être dans l’incapacité de financer la publication.
J’adressai plusieurs demandes à diverses organisations de la place œuvrant dans des domaines, humanitaires, culturels, de promotion francophone, et de protection de l’enfance dans le but de faire financer l’édition sans résultat; certains me remirent ma demande sans même en lire le contenu; d’autres disaient être prêts à financer la publication si je me faisais recommander par «des personnages haut-placés»; malheureusement je n’en connaissais pas…
Fatigué et las de toutes ces démarches infructueuses, je rangeai mon manuscrit dans un tiroir.
Presque plus rien ne se passa pendant des mois, puis, surprise! le responsable du Service de Coopération et d’action Culturel de l’Ambassade de France M. BRIGNOT me donna rendez-vous à son bureau. Là, j’eus enfin une bonne nouvelle: le Projet Lecture Publique parrainé par son service a décidé de faire éditer mon roman. Je retournai à la fac avec des cornes de fierté. Le retour à Lomé du responsable du Projet Lecture Publique M. Jean Noel POUYOT (paix à son âme), allait précipiter le processus d’édition. Très vite, il prend contact avec les Editions Haho et désigne un maquettiste. En fait, un projet dit de «soutient à l’édition» avait été lancé par le Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France, en prélude à l’événement «Lire en fête» qui devait voir l’éclosion de nouveaux auteurs togolais. «Journal d’une bonne» fut alors relu par une équipe grâce à la diligence du chef du projet en la personne de monsieur Jean-Noel Pouyot à qui je rends hommage, assisté de Noëlle SEDACK. et Guy MISSODEY alors Enseignant-chercheur à l’Université de Lomé; il signera la préface de cette première édition. Dans sa démarche, il aboutit à l’observation selon laquelle «Journal d’une bonne est une réconciliation du littéraire et du social», propos que partage Anne-Marie STAMM dans son commentaire.
Mais au-delà, l’engagement…
Un regard sensible, une simple image touchante avait donc transformé ma vie à jamais, juste parce que j’ai tenu à être sincère dans ma démarche face à l’abus fait aux enfants sans voix, et qui m’avait conduit à aller jusqu’au bout de l’écriture de mon aventure. La publication de «Journal d’une bonne» était une récompense inespérée et inattendue. Et le Prix France-Togo qui était doté de cinq cent mille francs CFA soit 763 Euros, avait servi à installer un ordinateur Pentium I de 128 Mo de mémoire avec un disque dur de 2 Go sous Windows©98 à la maison, PC sur lequel nous nous alternions pour divers travaux. De bouche-à-oreille, certains nous confiaient la saisie de leurs mémoires universitaires, ce qui nous obligeait à apprendre à exploiter à fond certaines fonctionnalités de l’ordinateur pour le traitement de texte, des images et la gestion électronique des enquêtes; dans la foulée, mon frère jumeau publie «Les bases de la configuration d’un routeur CISCO», un livre de TP qu’il publia suite à sa formation d’administrateur réseau reçue au Centre d’Informatique et de Calcul de l’Université de Lomé. Cet ordinateur rendra l’âme après six ans de bons et loyaux services…
Ainsi je n’hésitais pas à répondre aux invitations de certains enseignants; je rends compte de certaines rencontres dont je garde un heureux souvenir sur mon site Internet. La plupart des rencontres qui se tenaient en dehors de Lomé se faisaient souvent à mes frais, je dirais «à nos frais», parce que mon frère jumeau y mettait du sien en m’accompagnant, et grâce à qui j’ai pu avoir les archives photos et vidéos à une époque où les smartphones munis de caméra ne couraient pas encore les rues. C’est vrai que la vente de quelques exemplaires permettait d’amortir un peu les dépenses, mais pour les rencontres qui nécessitaient de longs voyages, il y en a eu qui ont pensé à payer quelques défraiements, et d’autres pas, mais exiger parfois des contre-parties pouvait empêcher des moments de partage extraordinaires. Je ne citerais pas de nom parce que je dois, et je dis merci à tous ceux et celles qui se sont impliqués de quelque manière que ce soit dans ma démarche, ainsi qu’à tout mon lectorat ayant aimé ou non la fin du récit.
Malheureusement des copies frauduleuses de la première édition vont inonder et s’arroger le marché pendant plus d’une décennie (2005-2016), quelques mois après épuisement du premier tirage estimé seulement à 2000 exemplaires. Évidemment, il est plus facile de reproduire une œuvre que de la créer. Et sur le terrain, on a plutôt l’impression que les pirates reçoivent plus vite les financements que les vrais auteurs ou créateurs…
Face à une Justice révérencieuse envers ces éléphants qui marchent sur les récoltes des créateurs, et malgré toute la rage qui m’anime de dénoncer ce grave fléau qui tue à petit feu les auteurs et les œuvres de l’esprit, je ne peux que déplorer cette pratique en attendant les solutions appropriées.
Après enquête, la gendarmerie procéda à l’arrestation d’un revendeur pris en flagrant-délit. Malheureusement, il fut relâché avec «la complicité» du premier substitut du procureur d’alors. C’est en essayant de me remettre de cette affaire judiciaire qu’un compatriote naturalisé Américain contacta mon éditeur pour demander un contrat de traduction du roman en anglais (2006). Un an plus tard il me revint avec un ordinateur portable; un Pentium III de 30G de disque dur et 512Mo de RAM tournant sous Windows© XP. Ce bijou nous permettait de travailler pendant les voyages et au-delà de certaines heures. Désormais, certaines opérations comme la conversion des rushs vers diverses formats étaient possibles pour le montage vidéo et la réalisation de spots publicitaires; il nous facilitera l’apprentissage de la programmation et du développement d’applications de type ACCESS...
Quelques retours
- Bien avant la parution, une connaissance qui avait ramené une fillette d’à peine sept ans du village pour l’employer comme domestique avait décidé de renvoyer l’enfant à ses parents, en leur recommandant de l’envoyer à l’école.
- À Kpélé-Akata à environ 160Km au Nord-ouest du Togo, les gendarmes et policiers qui étaient venus pour couvrir l’exposé public de l’œuvre avaient tous acheté le roman…
- Une jeune mère célibataire a payé ma note de restaurant lors d’une manifestation parce qu’en faisant lire Journal d’une bonne à sa fille adolescente, elle avait trouvé le moyen de discuter «sexualité» avec elle sans trop de détours.
- Plusieurs élèves qui détestaient la lecture ont pu lire Journal d’une bonne en entier, voir à le relire.
- En 2017 un comité chargé de réviser les œuvres au programme de l’enseignement du français au Togo, décida que «Journal d’une bonne» soit retenu, et particulièrement pour les classes de sixième. C’est peut-être le résultat des multiples rencontres et manifestations, ainsi que des tournées effectuées à travers différentes régions du Togo. C’est vrai que sur proposition d’un enseignant, j’avais tenté des démarches dans ce sens trois ans après la parution de l’œuvre sans résultat. Seulement, cette fois-ci la décision des responsables éducatifs et de l’enseignement officiel est intervenue pendant que j’avais le dos tourné vers d’autres projets. Je n’écrivais que par rapport à mes activités en informatique où plusieurs documents de références sont souvent en anglais. Chaque pas dans ce domaine a été réalisé à partir des recherches fastidieuses; parfois il faut des semaines avant de franchir une étape; pour cela, je m’aidais des traducteurs pour pouvoir avancer, au point de perdre mon français. Pour me rattraper, je relisais un ou deux romans, puis repartais encore lire la doc pour mes besoins d’apprentissages et de conception. Ceci pour dire que je ne me prends pas pour un manitou de la connaissance. Un écrivain encore moins un littérateur n’est pas un savant, ni forcement un diplômé ès lettres. D’ailleurs, pourquoi j’aime autant l’informatique? Tout simplement parce que j’ai toujours un résultat quand je fournis des efforts; je ne récolte pas/plus de sales notes de la part d’un soi-disant professeur; et je pense qu’un bon maître incite au travail et non au découragement. Je profite pour chuchoter à l’oreille de nos plus jeunes frères et sœurs qui ont des smartphones à plusieurs gigabits de mémoire et de capacité de stockage et qui ont un accès facile à la connaissance via Internet, qu’ils ne tiennent pas des jouets: «n’oubliez pas: visez bien; choisissez vos thèmes favoris, organisez-vous, travaillez, exploitez à bon escient toutes ces ressources qui sont à portée; faites-le pour vous, et non pour les notes ou les diplômes,...»
C’est donc en plein atelier de conception et de développement que je fus alerté du fait que plusieurs avaient du mal à se procurer le roman. Quelques semaines après la rentrée 2017-2018, l’inspection me contacta pour essayer de comprendre pourquoi le livre était si rare à trouver. Après mes explications, un inspecteur me laissa lire dans son smartphone les messages et plaintes reçues de la part des enseignants et élèves qui ne trouvaient pas le roman. C’est ainsi qu’il demanda que des mesures urgentes soient prises pour que l’œuvre soit disponible et accessible, ne serait-ce que pour répondre au besoin pédagogique.
Entretemps mon jumeau et moi avions beaucoup travaillé sur la mise en place de bibliothèques virtuelles et la conception de livres électroniques : c’était l’occasion de faire nos preuves…
Il fallait donc remaquetter le livre avant de procéder à une nouvelle publication pour éviter que les anciens pirates ne reviennent au comptoir avec d’anciens stocks. Mais déçu par la mésaventure vécue avec mon précédent éditeur, et vu que la plupart de nos maisons publient souvent à compte d’auteur, je décidai d’auto-éditer tout simplement l’ouvrage sans ISBN ni code à barres pour répondre au besoin pédagogique local. Cette version étant impropre à la vente dans les librairies classiques, je proposai une publication plus conventionnelle aux éditions BoD courant 2019 pour assurer la disponibilité de l’œuvre à l’international. Cependant certains libraires de la place tolèrent la version dite pédagogique dans leurs rayons ; elle se différencie de la version internationale par une préface explicative et une quatrième de couverture comportant une photo de l’auteur, précédée d’une recension. Depuis la rentrée 2019-2020, elle peut s’obtenir auprès de la LIBRAIRIE MON ÉCOLE qui a bien voulu en assurer la distribution.
Toujours au chapitre des retours, certains messages qui me sont adressés commencent parfois par «bonjour/bonsoir/chère madame»...
Enfin une question à laquelle j’avais eu beaucoup de mal à répondre et venant d’un collégien de 11 ans:
- S’il vous plait monsieur est-ce que vous pouvez nous indiquer la maison d’Adjo pour qu’on lui rende visite?
- …
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