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RWANDA : Le travail domestique, nouvelle forme d'esclavage:une lecture de journal d'une bonne DE DISSIRAMA BOUTORA TAKPA.

Extrait du mémoire présenté par Jean Claude NDAGIJIMANA SOUS LA DIRECTION DU Professeur Simon Amégbléamé.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Le sujet « Le travail domestique, nouvelle forme d’esclavage : une lecture de Journal d’un bonne de Dissirama Boutora-Takpa » a été développé en trois principales grandes parties que sont la présentation de l’œuvre, l’univers de Journal d’une bonne et la signification de l’œuvre. Avant d’aborder ces parties proprement dites, il a été utile de brosser, dans l’introduction générale, l’état du phénomène de travail domestique essentiellement des enfants dans le monde.

Actuellement, à travers le monde, des millions d’enfants travaillent au lieu d’aller à l’école. L’Afrique est le continent le plus touché représentant à elle seule 80 millions de 250 millions d’enfants travailleurs qui sont recensés dans le monde. La tranche d’âge des enfants qui sont victimes du travail domestique est comprise entre 5 et 14ans. Ces enfants sont visibles dans plusieurs lieux (exploitations agricoles, plantations, mines, carrières, usines) ou travaillent comme domestiques dans des foyers de tierces personnes. Parmi ces enfants, beaucoup sont vendus et font l’objet d’un trafic en vue d’être utilisés comme esclaves.

Les facteurs qui contribuent à ce phénomène sont diversifiés: la pauvreté criarde dans bien des communautés, l’ignorance des parents, certaines coutumes/croyances traditionnelles, l’esprit mercantiliste qui est devenu monnaie courante etc. Ces enfants domestiques vivent dans des conditions assimilées à l’esclavage. Ils travaillent sans relâche et sont soumis aux traitements inhumains et malsains. En effet, ils sont victimes des tortures physiques et morales (fouets, gifles…) qui leur sont infligées par leurs maîtres/maîtresses. Outre ces traitements horribles, il convient de citer la violence sexuelle sans nom dont sont victimes essentiellement les filles.Ces domestiques sont en fait depouillés de leurs droits à la vie, à l’éducation, à la santé, à la dignité humaine et autres.

Bien que ce phénomène semble gagner du terrain, certaines initiatives ou actions ont été et continuent d’être menées pour prévenir ou endiguer ce fléau. Elles sont de plusieurs ordres: politique, juridique, social et autres. En effet, il existe beaucoup de conventions et de lois tant nationales, régionales qu’internationales relatives à la protection et aux droits de l’enfant. Beacoup d’organismes et organisations internationaux dont l’OIT, l’UNICEF, l’UNESCO, l’ONU et des d’organisations de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, Amnesty International…) ne cessent de tirer la sonnette d’alarme pour fustiger le travail domestique qui touche les enfants. Citons pour mémoire le Progamme mondial pour l’abolition du travail des enfants (IPEC) dont la mission principale est de sensibiliser la population du monde entier sur la main d’oeuvre enfantine et de convaincre les gouvernements à se conformer aux conventions internationales, à légiférer et à appliquer des lois stictes et à mettre en place des stratégies et mécanismes susceptibles de mettre un terme à cette peste.

Au niveau national et régional, des ONG, des associations et des autres composantes de la société civile sont à pied d’oeuvre pour promouvoir et sauvegarder les droits de l’enfant. D’autres domaines méritent d’être cités. Les medias, les sports, pour ne citer que ceux-ci, ne sont pas de reste dans cette lutte. Il est cependant inconcevable de constater que beaucoup de ces initiatives ne sont que de simples rhétoriques et que les lois et les conventions existantes sont léthargiques voire insuffisantes.N’est- il pas scandaleux de constater que l’opinion publique est anesthésiée au point que l’inimaginable est en train de devenir simplement regrettable, bizarre et enfin de compte normal ?

L’introduction traite aussi des méthodes dont nous nous sommes servi pour mieux mener notre analyse. Plusieurs méthodes ont été empruntées mais elles se résument en deux approches complémentaires : interne et externe. Dans le premier cas, il a été question d’interpréter les éléments du contenu tandis que dans le deuxième, il s’agissait de les expliquer dans le contexte de l’existence d’une réalité sociale. L’application d’une telle approche requiert suffisamment de temps et d’instruments de travail. Cependant, nous avons été limité par le temps et le matériel à notre disposition.

Nous avons abordé la première partie qui présente l’auteur et son œuvre. En premier lieu, a été retracée la vie de l’auteur ensuite de son œuvre. Avec Journal d’une bonne il a été couronné par le Jury du Prix Littéraire France- Togo édition 2001. Il concentre toute son œuvre sur le thème de l’esclavage moderne. Ses actions comprennent entre autres des conférences- débats et des émissions sur les medias de place. Afin de mieux cerner le cadre de notre sujet, nous avons présenté un résumé du roman. Ce résumé retrace l’itinéraire tragique d’Agathe (Adjo), l’héroïne du roman. En effet, Agathe a connu un terminus a quo paisible et prometteur pour enfin subir un terminus ad quem tragique. Sa vie se résume en quatre principales étapes. Son enfance a été presque paradisiaque avec des dispositions intellectuelles brillantes ainsi que des merveilles dont la comblaient ses parents. Tout cela constituait des signes avant coureurs d’un avenir meilleur. Cette joie ne dure que sept ans. Le reste de sa vie va être émaillé de tourbillons. Après la mort de ses deux parents, elle est vendue au Gabon où elle sert comme esclave pendant deux ans. De retour au Togo, son calvaire ne connaîtra pas de répit. Après un séjour ténébreux (deux ans) chez l’oncle Kotoka, elle travaille comme bonne chez les Komlassan (deux ans). Là encore, elle subit des tortures physiques et morales dont la violence sexuelle. Outre la gonococcie qu’elle contracte, elle est engrossée deux fois et est forcée d’avorter. Les douleurs qui en résultent vont l’emporter.

La deuxième partie présente en long et en large l’univers romanesque ou en d’autres termes l’analyse interne du roman. Le premier point traite de la société romanesque en dégageant d’abord les classes sociales pour enfin mettre en lumière les mœurs. Dans cette société gangrenée par l’exploitation, les riches exploitent les pauvres à travers un contrat de travail domestique régi par le rapport du maître et du valet. Dans cette société essentiellement « esclavagiste », le travail domestique rompt avec la règle sociale. L’individu ne considère plus l’individu comme son semblable mais comme un bien lucratif voire un produit commercialisable – la traite d’êtres humains surtout d’enfants est pratiquée dans cette société-, un objet maniable, exploitable économiquement. En plus de ces pratiques esclavagistes, les petites filles sont victimes de la violence sexuelle dont le viol et l’avortement forcé.

Après cette peinture de la société romanesque de Journal d’une bonne, suit l’interprétation du destin tragique d’Agathe tout au long de son parcours. Son début est stable, son enfance est idyllique. Les merveilles dont la comblent ses deux parents préfigurent un avenir heureux. Cependant, le verdict du destin vient le torpiller. La mort de ses deux parents ouvre une nouvelle page dans sa vie. Sa vie bascule et l’hostilité de l’entourage familial va la ruiner Pour mémoire, ses deux parents ont été enterrés à son insu et son oncle (l’Oncle Kotoka) l’a envoyée au village chez Gnagna, sa grand- mère, où il n’y a ni eau, ni électricité, ni télé. Suite à l’indifférence et à l’hostilité familiales, elle est enlevée, vendue et exploitée au Gabon comme esclave avec toutes les souffrances et peines inimaginables dont le viol. Pendant deux ans, Agathe, avec d’autres gamines sont astreintes aux corvées pour le compte de Da-Yavo, la gouvernante de la maison d’exploitation. Elles passent de longues et pénibles journées sans repos et subissent des traitements inhumains pour, la plupart du temps, des délits mineurs. En guise d’exemple, une petite erreur dans les comptes pouvait coûter au coupable des fouets, des gifles, des invectives, des privations de nourriture…. Outre ces tortures, Agathe est victime de la violence sexuelle. A neuf ans et demi, elle est violée par Gezo, le gardien de la maison. Cette expérience horrible va spolier son avenir. Après le démantèlement de la maison d’exploitation, Agathe est rapatriée dans son pays natal, le Togo, et retrouve son oncle. La femme de ce dernier, Da-Abra, la traite comme une bonne. Comme cela ne suffisait pas, elle se débarrasse d’elle et l’offre à sa belle-sœur Tanti-Amévi qui va l’exploiter dans son foyer. Agathe va servir comme bonne dans la maison qui auparavant appartenait à ses parents et qui a été vendue par son oncle à son insu. Elle va subir les mêmes tortures que celles dont elle avait été victime chez Da-Yovo. Les violences sexuelles sont plus éloquentes. Son corps appartient à ses employeurs. Féçal, le fils de son patron, abuse du corps de cette petite fille de 12 ans qui est ignorante de tout ce qui a trait aux rapports sexuels. Même Babato, le chauffeur de son patron, ne l’épargne pas. Les conséquences sont énormes et fatales : gonococcie, deux avortements forcés… .Cette violence sexuelle met fin à son existence.

La troisième partie a été consacrée à la signification de l’œuvre. En effet, la signification de l’œuvre n’est pas la pensée d’un individu. Elle est la revanche du « on » sur le « je » du « ça parle » sur le « je pense ». Pour jouer son rôle social, l’auteur, par le jeu des personnages, promène son roman sur la route pour que chacun y voie son image. Il s’agit de la représentation de la personne en personnage. A travers le miroir de Journal d’une bonne, chacun y voit son image et établit son rôle, ses responsabilités, ses complicités, ou ses actions dans le travail domestique essentiellement des enfants qui s’est métamorphosé en esclavage. Dans sa révolte, l’auteur nous appelle à sortir de nos coquilles pour nous investir dans la lutte contre ce fléau qui mine les sociétés africaines dites modernes. Aux bancs des accusés se retrouvent les trafiquants d’êtres humains surtout des enfants, toutes les personnes qui exploitent des enfants pour assouvir leurs appétits économiques, tous ces individus qui infligent la violence sexuelle aux petites filles, tous les parents ou membres de la famille élargie qui confisquent les droits de l‘enfant dont les droits à l’héritage et à l’éducation.

Dissirama Boutora- Takpa nous sensibilise à criminaliser, pénaliser et combattre la « peste » de l’exploitation des enfants, éradiquer cet esclavage moderne. Les actions doivent être menées sur le plan familial, communautaire, national, bilatéral et multilatéral. Cette croisade doit rassembler le politique, le juridique, le social, le sportif bref tout le monde sans exception (gouvernements, organismes internationaux, société civile, simples citoyens…)

Toute étude accuse des limites. De ce fait, nous ne pouvons pas affirmer avoir épuisé notre sujet. Ceci revient à dire qu’il peut faire l’objet d’autres études et sous d’autres angles. Par exemple, l’étude peut se proposer d’analyser le rôle de la femme dans le commerce ou dans l’exploitation d’enfants. Ce choix naîtrait du fait que les victimes et les responsables de cette pratique sont principalement des personnages féminins (Agathe, Da-Yélé, Da-Yovo, Da-Abra, Tanti-Amevi…). L’on peut aussi orienter son étude au destin tragique des orphelins africains. D’autres analyses peuvent être strictement thématiques pour se pencher sur le trafic d’enfants, la violence sexuelle infligée aux petites domestiques etc. Par ailleurs, le roman a un caractère polysémique, et autonome et la lecture semble être la synthèse de la perception et de la création. Selon Jean Paul Sartre (1948 :55) « l’opération d’écrire implique celle de lire comme son corrélatif dialectique et ces deux actes connexes nécessitent deux agents distincts. C’est l’effort conjugué de l’auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu’est l’ouvrage de l’esprit. Il n y a d’art que par et pour autrui. » La polysémie d’une œuvre implique en effet la pluralité des lectures. Par conséquent, pour une même et seule œuvre, plusieurs lectures : structurales, sociologiques, psychanalytiques…) peuvent être faites suivant le lecteur et sa visée. C’est dans ce cadre que Journal d’une bonne reste un outil précieux susceptible de faire l’objet d’études variées.

Kigali Institute of Education - Faculté des Lettres et Sciences Humaines, combinaison Francais-Anglais Education, IVème année (RWANDA)
PRÉSENTÉE PAR Jean Claude NDAGIJIMANA
SOUS LA DIRECTION DU Professeur Simon Amégbléamé

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